Je suis de nulle part : sur les traces d'Ella Maillart by Weber Olivier

Je suis de nulle part : sur les traces d'Ella Maillart by Weber Olivier

Auteur:Weber, Olivier [Weber, Olivier]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai, Biographie
Éditeur: Payot
Publié: 2003-03-14T23:00:00+00:00


Il est temps de reprendre la route. Mais les chevaux s’échappent, qui courent dans ce paysage alpin comme s’il s’agissait d’un caprice de poulain. Quand Matkerim les rattrape, le cheval de bât, blessé à l’échine, a le garrot tout enflé. L’interprète n’hésite pas, saisit son couteau et fait une saignée en croix qui laisse écouler un pus jaune sur lequel il verse du thé brûlant.

« Khosh ! Rachmatt / (Au revoir ! Merci !) »

Les femmes qui saluent Ella tentent en riant de lui prendre son béret basque puis lancent une grande claque sur sa monture en guise de bénédiction pour son long voyage. Ella est des leurs, cette étrange et chaleureuse voyageuse qui déjà s’est habituée à l’odeur âcre des vêtements imprégnés des bouses de vache séchées au soleil qui servent de combustible. Peu à peu elle apprend à renifler, le nez au vent : l’odeur des bouses brûlées signifie la proximité des yourtes.

Au gré des étapes, sur le sentier de terre noire qui monte sous les sapins, entre les moraines et les versants survolés par les aigles, Matkerim, l’interprète, initie Ella aux traditions kirghizes, à la manière de boire le koumis, à la façon de manger le mouton offert à la halte. Celui-ci est entièrement dévoré, en commençant par la queue, coupée en tranches pour des sandwichs, puis les yeux et jusqu’aux tendons, les os sucés, la carcasse dépecée, les nerfs mastiqués. Et tant pis s’il gèle la nuit, si les puces vous dévorent la chair – Ella s’évertue à les exterminer en les broyant sous ses dents. « Pendant ces nuits sous la tente, je me rends enfin compte que les singes sont mes frères, malgré tous les sacrifices que mes parents se sont imposés pour parfaire mon éducation. » Elle mange plus que de coutume, technique du chameau pour se préserver de l’imprévu et des longues traites sans escale. « Obéissant inconsciemment à cette règle, chaque jour je me goinfre ; j’engraisse à vue d’œil et suis la terreur de Mila, préposée aux vivres. Ses regards ou sa voix répètent chaque jour : “C’est effrayant, Ella mange plus que les hommes !” »

Kini, qui renoue avec l’univers de la haute montagne, en oublie une subite fièvre avec près de quarante, sans doute la typhoïde, qui lui vaut de rater l’ascension du sommet voisin de la passe de Djougoutchak et de séjourner dans l’unique bâtiment de ces hauteurs, l’observatoire du T’ien-chan. Il est bâti sur le glacier et accueille de temps à autre les voyageurs, tels ces caravaniers chinois qui craignent la radio, surnommée « le démon de la montagne », et évitent de toucher la porte, de crainte que la maison ne soit ensorcelée. Là vivent en permanence huit Russes soumis à une température moyenne de six degrés, engoncés dans de longs manteaux et des bottes de feutre. L’un d’eux, un étudiant, raconte qu’un ours s’est récemment amusé à jeter des pierres sur les cavaliers qui empruntaient le glacier.

En pleine nuit, une tempête réveille Ella, qui rêvait de ports et de voiliers, et Maria Federovna, la servante russe.



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